Depuis vingt-cinq ans que j'ai jeté sur le papier mes idées sur la théorie de la Terre, et sur la nature des matières minérales dont le globe est principalement composé, j'ai eu la satisfaction de voir cette théorie confirmée par le témoignage unanime des navigateurs, et par de nouvelles observations que j'ai eu soin de recueillir ; il m'est aussi venu dans ce long espace de temps quelques pensées neuves, dont j'ai cherché à constater la valeur et la réalité par des expériences ; de nouveaux faits acquis par ces expériences, des rapports plus ou moins éloignés, tirés de ces mêmes faits, des réflexions en conséquence ; le tout lié à mon système général, et dirigé par une vue constante vers les grands objets de la nature, voilà ce que je crois devoir présenter aujourd'hui à mes lecteurs ; surtout à ceux qui, m'ayant honoré de leur suffrage, aiment assez l'histoire naturelle, pour chercher avec moi les moyens de l'étendre et de l'approfondir. Je commencerai par la partie expérimentale de mon travail, parce que c'est sur les résultats de mes expériences que j'ai fondé tous mes raisonnements, et que les idées même les plus conjecturales et qui pourraient paraître trop hasardées, ne laissent pas d'y tenir par des rapports qui seront plus ou moins sensibles à des yeux plus ou moins attentifs, plus ou moins exercés, mais qui n'échapperont pas à l'esprit de ceux qui savent évaluer la force des inductions, et apprécier la valeur des analogies.
Georges-Louis Leclercq comte de Buffon, Histoire naturelle, générale et particulière, Tome premier, Supplément, servant de suite à la Théorie de la Terre & d'introduction à l'histoire des minéraux (1774)Premier Mémoire - Expériences sur le progrès de la chaleur dans les corps.
Source / Pierre Thomas, 12/11/2012. Buffon, ou comment le siècle des Lumières envisageait l'origine du monde, Planet Terre - ISSN 2552-9250, Extraits commentés de l'œuvre de Buffon -Histoire naturelle, générale et particulière-, traitant de l'origine (1749) et de l'âge (1774) de la Terre.
Lavoisier et la méthode expérimentale
C'est un principe bien constant que nous ne pouvons procéder pour nous instruire, que du connu à l'inconnu. Dans notre première enfance nos idées viennent de nos besoins; la sensation de nos besoins fait naître l'idée des objets propres à les satisfaire, et insensiblement par une suite de sensations, d'observations et d'analyses, il se forme une génération successive d'idées toutes liées les unes aux autres, dont un observateur attentif peut même jusqu'à un certain point, retrouver le fil et l'enchaînement, et qui constituent l'ensemble de ce que nous savons.Lorsque nous nous livrons pour la première fois à l'étude d'une science, nous sommes par rapport à cette science, dans un état très analogue à celui dans lequel sont les enfants, et la marche que nous avons à suivre est précisément celle que suit la nature dans la formation de leurs idées. De même que dans l'enfant l'idée est un effet de la sensation, que c'est la sensation qui fait naître l'idée; de même aussi pour celui qui commence à se livrer à l'étude des sciences physiques, les idées ne doivent être qu'une conséquence, une suite immédiate d'une expérience ou d'une observation. Qu'il me soit permis d'ajouter que celui qui entre dans la carrière des sciences, est dans une situation moins avantageuse que l'enfant même qui acquiert ses premières idées; si l'enfant s'est trompé sur les effets salutaires ou nuisibles des objets qui l'environnent, la nature lui donne des moyens multipliés de se rectifier. A chaque instant le jugement qu'il a porté se trouve redressé par l'expérience. La privation ou la douleur viennent à la suite d'un jugement faux; la jouissance et le plaisir à la suite d'un jugement juste. On ne tarde pas avec de tels maîtres à devenir conséquent, et on raisonne bientôt juste quand on ne peut raisonner autrement sous peine de privation ou de souffrance. Il n'en est pas de même dans l'étude et dans la pratique des sciences; les faux jugements que nous portons, n'intéressent ni notre existence, ni notre bien-être; aucun intérêt physique ne nous oblige de nous rectifier: l'imagination au contraire qui tend à nous porter continuellement au-delà du vrai; l'amour-propre & la confiance en nous-mêmes, qu'il sait si bien nous inspirer, nous sollicitent à tirer des conséquences qui ne dérivent pas immédiatement des faits: en sorte que nous sommes en quelque façon intéressés à nous séduire nous-mêmes. Il n'est donc pas étonnant que dans les sciences physiques en général, on ait souvent supposé au lieu de conclure; que les suppositions transmises d'âge en âge, soient devenues de plus en plus imposantes par le poids des autorités qu'elles ont acquises, et qu'elles aient enfin été adoptées et regardées comme des vérités fondamentales, même par de très-bons esprits. Le seul moyen de prévenir ces écarts, consiste à supprimer ou au moins à simplifier autant qu'il est possible le raisonnement, qui est de nous et qui seul peut nous égarer; à le mettre continuellement à l'épreuve de l'expérience; à ne conserver que les faits qui ne sont que des données de la nature, et qui ne peuvent nous tromper; à ne chercher la vérité que dans l'enchaînement naturel des expériences et des observations. Convaincu de ces vérités, je me suis imposé la loi de ne procéder jamais que du connu à l'inconnu, de ne déduire aucune conséquence qui ne dérive immédiatement des expériences et des observations
D'après Le discours préliminaire du Traité élémentaire de chimie, présenté dans un ordre nouveau et d'après les découvertes modernes; d'Antoine de Lavoisier (texte intégral sur Internet)
Lamarck et l'évolution
Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) est un botaniste et naturaliste français, précurseur de la biologie, qui émet l’idée d’une évolution des espèces par la transformation naturelle*.
"Je pourrais prouver que ce n'est point la forme du corps, soit de ses parties, qui donne lieu aux habitudes, à la manière de vivre des animaux ; mais que ce sont au contraire les habitudes, la manière de vivre et toutes les circonstances influentes qui ont avec le temps constitué la forme des animaux". L’emploi plus fréquent et soutenu d’un organe quelconque fortifie peu à peu cet organe, le développe, l’agrandit tandis que le défaut (l’absence) constant d’usage de tel organe l’affaiblit insensiblement, le détériore, diminue progressivement ses facultés et finit par le faire disparaître. Je vais maintenant démontrer que l'emploi continuel d'un organe étend et agrandit cet organe ou en crée de nouveaux qui peuvent exercer des fonctions devenues nécessaires.( ... ) La girafe vit dans des lieux où la terre, presque toujours aride et sans herbage, l'oblige de brouter le feuillage des arbres, et de s'efforcer continuellement d'y atteindre. Il est résulté de cette habitude soutenue depuis longtemps, dans tous les individus de sa race, que ses jambes de devant sont devenues plus longues que celles de derrière, et que son col s'est tellement allongé, que la girafe, sans se dresser sur ses jambes de derrière, élève sa tête et atteint à six mètres de hauteur (près de vingt pieds) ( ... ). Les efforts dans un sens quelconque, longtemps soutenus ou habituellement faits par certaines parties d'un corps vivant, pour satisfaire des besoins exigés par la nature ou par les circonstances, étendent ces parties, et leur font acquérir des dimensions et une forme qu'elles n'eussent jamais obtenues, si ces efforts ne fussent point devenus l'action habituelle des animaux qui les ont exercés.”
Jean Baptiste Lamarck, Discours Inaugural de 1800 au Muséum National d'Histoire Naturelle
* Pour information, la théorie de Lamarck a été ensuite en grande partie contredite au siècle suivant par la théorie de l'évolution de Darwin dans laquelle ce ne sont pas les caractéristiques de l'espèce dans leur ensemble qui évolue grâce à l'environnement mais pour qui ce sont seulement les individus les plus adaptés qui survivent, se reproduisent et transmettent ainsi leurs caractéristiques à leurs descendants, d'où un changement global de l'espèce.
Légende/ En haut: l'environnement change ; en bas: les propriétés acquises sont transmises par héritage / Source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Evolutionstheorien.jpg
Le courant de pensée des Lumières est un courant de pensée européen comprenant aussi bien des philosophes que des économistes ou des scientifiques.
Les membres de ce courant de pensée remettent tous en question dans leurs domaines les connaissances connues (et donc les explications religieuses) et cherchent à tout démontrer selon la raison: selon eux ce qui est vrai est démontrable et ce mode de pensée contribue donc énormément aux progrès des sciences et des techniques.
Des scientifiques comme le naturaliste français Buffon ou le chimiste français Lavoisier un peu plus tard participent activement à ce mouvement et contribuent grandement à l’enrichissement des connaissances de l’époque.